mardi 6 décembre 2011

Novarina : Devant la parole :


La fin de l’histoire est sans paroles. J’oppose notre descente en langage muet dans la nuit de la matière de notre corps par les mots et l’expérience singulière que fais chaque parlant, chaque parleur d’ici. Un voyage dans la parole. Nous sommes pour ainsi dire trouer à jour, à ciel ouvert. Les mots préexistent à ta naissance. Ni instruments ni outils, les mots sont la vrai chair humaine et comme le corps de la pensée : la parole nous est plus intérieure que tous nos organes de dedans. Notre chair spirituelle c’est la parole ; elle est l’étoffe, la texture, la tessiture, le tissu, la matière de notre esprit. Le monde est par nous troué, mis a l'envers, changé en parlant. « La langue est le fouet de l’air», disait Alcuin; elle est aussi le fouet du monde qu’elle désigne. La parole est apparue un jour comme un trou dans le monde fait par la bouche humaine - et la pensée d'abord comme un creux, comme un coup de vide porté dans la matière. Les cris des bêtes désignent, le mot humain nie. La langue est en fugue, en fuite, en vrille, poursuivit, poursuivante, chassée et ouvrant. Nous apparait alors, étranger et devant nous notre corps le plus proche : le langage. Notre chair mentale, notre sang. La parole avance dans le noir. L’espace n’est pas le lieu des corps ; il n’est d’aucun soutien pour nous. Le langage le porte maintenant devant nous et en nous, visible et offert, tendu, présenté, ouvert par le drame du temps où nous sommes avec lui suspendus. Le langage est le lieux d’apparition de l’espace. Tout au fond, la parole n’est pas humaine ; elle n’a rien d’humain ; c’est une antimatière soufflée qui fait le drame de l’espace apparaitre soudainement devant nous. La parole se souvient, annonce et transmet ; elle nous traverse et passe par nous sans qu’on sache. Les mots ne sont pas des objets manipulables, des cubes agençables à empiler, mais des trajets, des souffles, des croisements d’apparences, des directives, des champs d’absences, des cavernes, et un théâtre de renversements : il se contredisent, ils chutent. La langue est une matière innommable, invisible et très concrète, sédimentée. On est dedans comme dans le théâtre de la matière universelle. C’est soudain et surgi, déchiré et non pas dévoilé. le langage porte le vide dans la matière et la brûle par dedans. La parole est le lien qui délivre. Entre les mots et la parole et la pensé, il y a un combat, une lutte depuis toujours qui ne s’arrête pas. Il a une pensé sous la pensé qui dit toujours : «va jusqu’où les mots rebroussent chemin.» La parole ne se communique pas comme une matière marchande, comme une danrée, comme de l’argent, elle se transforme, elle passe et se donne. Vivante de l’un et de l’autre, la parole est un fluide ; elle passe entre nous comme une onde et se transforme de nous avoir traversés. C’est le don de parler qui se transmet ; le don de parler que nous avons reçu et qui doit être donné. Le don d’ouvrir par notre bouche un passage respiré dans la matière. Le don d’ouvrir par notre bouche un passage dans la mort. Il y a un théâtre hors lieu où par la parole la matière de la mort est brisée et ouverte. La parole sur le monde ; elle vient enlever son cadavre. Nous parlons de ce qu’on ne peut nommer.

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